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« Le théâtre m’a redonné confiance en moi »

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Monter sur scène quand on vit dans un centre d’hébergement d’urgence, ça change quoi ? Accompagnés par des artistes professionnels, Alioun, Faouzia, Férima et Pascal sont devenus comédiens durant leur séjour au Fort d’Aubervilliers. L’occasion de prendre une autre place dans la société et de se libérer d’un passé parfois lourd à porter.

« J’ai appelé 115 et je suis arrivée au CHU [centre d’hébergement d’urgence]. C’est une maison de passage qui accueille des personnes qui n’ont pas d’habitat. » Faouzia* se tient droite et fixe le public avec ses grands yeux couleur ébène. Elle vient de raconter l’histoire qui l’a amenée de la République démocratique du Congo à la France, en passant par le Brésil. Le texte a été écrit à partir de son vécu.

« Au début du projet, je ne voulais pas parler de moi. C’est comme si je me poignardais, j’avais l’impression de revivre mes traumatismes. Et puis j’ai compris que parler libère », raconte Faouzia, le regard franc. « Raconter mon histoire m’a permis de dépasser mon passé », renchérit Férima*, qui raconte dans la pièce avoir été victime d’un mariage forcé dans son pays, la Côte d’Ivoire.

Pascal, lui, narre sur scène le burnout qui l’a fait dégringoler et lui a fait perdre son logement. « Le théâtre m’a redonné confiance en moi. Être devant cent personnes, c’est magique ! Ça m’a donné l’impression d’exister, même s’il faut du courage pour raconter sa vie sur scène. »

« J’appelais le "115" matin soir, matin soir. Souvent, on ne décroche pas. On décroche, on me dit pas de logement. C’est la quatrième fois, après on m’a appelé. ‘On a trouvé un coin pour toi, tu vas faire trois jours.’ J’ai dit :  ‘Trois jours seulement ?’ ‘Ah pour le moment on a trouvé que trois jours, est ce que ça vous convient ?’ J’ai dit : ‘Oui, ça me convient.’ Ils m’ont envoyé l’adresse, je suis venue. C’était ici, à Fort d’Aubervilliers. » (Extrait de la pièce La trêve)
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Pour préserver leur intimité, certains acteurs ont demandé à changer leur prénom et leur ville d’origine dans le texte. « Le vécu des personnes hébergées au CHU fait qu’elles se sentent dévalorisées. Le théâtre les a aidées à s’affranchir de cette histoire douloureuse. C’est une thérapie personnelle qui leur a permis d’extérioriser un vécu difficile », témoigne Massé Traoré, chef de service du CHU.

« Jouer au théâtre, c’est ma manière de dire aux gens que j’ai envie de m’en sortir. La parole m’a permis de dire aux autres que le centre d’hébergement d’urgence n’est pas un lieu de vie définitif », raconte Alioun, originaire du Sénégal.

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Casser les barrières

À l’origine du projet, trois artistes : Alice Carré, dramaturge, Olivier Coulon-Jablonka, metteur en scène, et Sima Khatami, cinéaste. La pièce mêle théâtre et cinéma documentaire. Grâce à l’un, cinq comédiens racontent leur histoire au public, avec l’autre, le spectateur plonge dans la vie du CHU et de ses occupants.

« Nous avons voulu travailler avec ceux qui sont invisibilisés. Cette pièce est l’occasion de donner la parole à ceux que l’on n’entend pas », explique Olivier Coulon-Jablonka. « J’ai perçu les résidents sous un angle différent. Ils ne sont pas que des hébergés du CHU, ce sont aussi des personnes », témoigne Laïla, assistante sociale venue voir la pièce.

Sur scène, les acteurs profitent d’avoir la parole pour dénoncer le système dans lequel ils sont coincés. Ils critiquent ainsi la trêve hivernale, qui donne son titre à la pièce. À la fin de la « trêve », qui, sauf décision exceptionnelle, intervient le 31 mars (cette année, elle a été repoussée de deux mois), l’État arrête de financer des places d’hébergement ouvertes pour l’hiver. Des résidents quittent le CHU et leur chambre reste vide.

« Je sais pas si je vais pouvoir rester ici. La trêve hivernale, elle a été prolongée (…), et nous après on sait pas où on va aller. Pourtant, l’été, il reste des chambres vides, même la directrice elle le dit. Y’a soixante chambres vides, mais y’a des gens qui dorment dehors, ça fait mal. Pour le moment, j’ai pas peur parce que je prends déjà toutes mes précautions. Si il dit que je pars, je prends mon sac au dos, je mets ce qui est important, mes documents, je pars. On espère toujours que ça ira. » (Extrait de la pièce La trêve)

 

Les comédiens interpellent également le préfet. Ils évoquent la possible destruction du site et leur relogement. « On devra partir, mais on ne sait pas encore où », lance Férima au public du théâtre de la Commune.

Je représente les sans-voix, il faut dire ce qu’on subit pour donner de la force aux autres.
Faouzia
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Ce qui fait peur à Faouzia, c’est de perdre la chambre où elle a le privilège d’être seule et de se retrouver à deux ou trois dans une chambre. « Avec cette pièce de théâtre, j’aide à faire prendre conscience que les gens souffrent. Je représente les sans-voix, il faut dire ce qu’on subit pour donner de la force aux autres », explique-t-elle.

« On est, en quelque sorte, les ambassadeurs de la cité. Tout ça nous permet d’expliquer la situation des hébergés et de montrer au public qu’on fait aussi partie de la société », renchérit Alioun, 28 ans. « On est le porte-parole des autres, on casse la barrière entre l’extérieur et nous », estime Pascal, 55 ans.

Ghali, un résident du CHU venu voir « les nôtres sur scène » est conquis : « C’est du théâtre cru, du réel. J’espère que cette pièce va sensibiliser les décideurs pour qu’ils améliorent nos situations. » Pour Massé Traoré, chef de service du CHU, « le théâtre est aussi un moyen d’alerter et de sensibiliser les pouvoirs publics ». Selon lui, le dispositif de la trêve hivernale ne résout pas le problème des sans-abri en profondeur. Lorsque la prise en charge d’une personne s’arrête brutalement à la fin de la trêve, alors qu’elle bénéficiait d’un accompagnement social, la continuité du suivi n’est pas respectée.

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Se relever

« La vie, tu tombes, après, tu te relèves », clame le jeune Alioun sur la scène du théâtre d’Aubervilliers. Tous les acteurs affirment qu’ils ont grandi avec ce beau projet. Ils disent avoir gagné en confiance, ce qui leur permettra de mieux s’insérer dans le monde du travail.

« Ça a été formateur pour eux d’avoir un contrat, des horaires à respecter, un cadre de travail et aussi de travailler en équipe », estime Hind, travailleur social au CHU. « Tout cela leur apporte beaucoup pour leur avenir professionnel. Le théâtre est un pas vers le marché de l’emploi. »

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Pour Alice Carré, co-autrice de La trêve, « le fait que nous les ayons traités comme des acteurs sans abaisser notre niveau d’exigence les a valorisés. Sur scène, ils sont à la fois faibles – il est difficile de raconter son histoire – et forts – avec leur aisance scénique. Jouer les rend forts dans l’expression d’eux-mêmes. Ils arrivent à se raconter, et à raconter toutes les embûches rencontrées, avec fierté. »

Ça m’a apporté de l’humilité et de l’écoute. Depuis, j’arrête de me rabaisser, j’ai le souhait de m’en sortir tout seul.

Alioun

« Ça m’a apporté de l’humilité et de l’écoute », témoigne Alioun. « Depuis, j’arrête de me rabaisser, j’ai le souhait de m’en sortir tout seul. Maintenant, je veux un travail et un logement. Je sens que je suis passé à une autre étape avec le théâtre. »

« J’ai retrouvé une confiance que j’avais perdue. Peut-être qu’un jour, je pourrais repasser des entretiens professionnels… Le théâtre nous a tous métamorphosés », conclut Pascal. Ce dernier se voit d’ailleurs continuer à jouer sur les planches et il aimerait que la pièce tourne dans d’autres théâtres de France. Pour porter leur message ailleurs. Et faire entendre la voix des sans-voix.

« Maintenant, je veux quand les gens ils me regardent, ils me donnent l’impression que c’est une personne qui a confiance en lui. J’aime bien que les gens ils me regardent de haut, pas de bas. Tu peux me regarder de bas, mais moi je me soulève tout le temps, je suis pas une personne qui perd confiance comme ça. » (Extrait de la pièce La trêve)

 

* Le prénom a été changé.

Auteur et crédits
Cécile Leclerc-Laurent © Xavier Schwebel/Secours Catholique